En quelques semaines, les véhicules électriques sont devenus un véritable sujet de tensions nouvelles à l’échelle du monde.
Les parkings des ports belges d’Anvers et de Zeebrugge sont remplis de véhicules électriques chinois bon marché et la Maison-Blanche a imposé une taxe douanière de 100 % sur les véhicules électriques importés de Chine. Pourtant, l’Empire du milieu continue d’exporter ce type de véhicules (+21 % sur un an au premier trimestre) et équipe les Chinois sur une grande échelle.
C’est aussi une source de tensions entre l’Europe qui veut définir sa propre stratégie et les États-Unis. Janet Yellen, la secrétaire d’État au Trésor, a insisté pour que l’Europe sanctionne la Chine aussi sévèrement qu’eux le font, ce que von der Leyen a refusé.
La politique industrielle chinoise en question
La politique industrielle chinoise se traduit par des choix sectoriels qui sont fortement subventionnés par l’État. Dans le cadre du véhicule électrique, les subventions se traduisent par une capacité de production bien supérieure à la capacité des Chinois de l’absorber. Cela se traduit donc par une concurrence exacerbée à l’échelle internationale, avec simultanément des prix plus bas pour les véhicules chinois sur les marchés extérieurs et un mode de production plus efficace. A titre d’illustration, le délai de mise sur le marché est 3 à 4 fois plus rapide que pour les productions traditionnelles.
Cependant, le président Xi insiste pour aller encore plus loin pour permettre à la Chine une mainmise plus importante encore sur le secteur manufacturier mondial.
Américains et Européens ne peuvent rester sans rien faire
Face à cela, Américains et Européens ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Les sanctions de l’administration US sur les importations de véhicules électriques touchent une part très faible des importations américaines, y compris des véhicules électriques importés. La Maison-Blanche veut intervenir de façon préventive plutôt que d’être face à un marché qu’elle pourrait ne plus contrôler si les ventes chinoises s’envolaient.
La justification peut être celle du risque d’un second choc chinois, comme l’a indiqué Paul Krugman dans une chronique récente au NY Times. Par le passé, le déplacement de l’activité industrielle des USA vers la Chine s’était traduit par une réduction de l’emploi significative pour les USA, notamment dans les bassins d’emplois industriels. L’objectif de la politique industrielle américaine est de créer une nouvelle dynamique synonyme de valeur ajoutée et d’emplois supplémentaires dans ce secteur. Prendre les mesures, tels les droits de douane à 100%, immédiatement faciliterait cette stratégie.
L’Europe n’est pas dans la même situation, car elle importe déjà de nombreux véhicules électriques chinois et son économie est plus avancée que celle des USA dans la décarbonation. En outre, elle produit plus de véhicules électriques que les USA et la part des véhicules électriques dans la vente des véhicules est plus de deux fois supérieure en Europe qu’elle ne l’est aux USA.
L’Europe veut accentuer cet avantage lié à la décarbonation rapide de son économie, notamment dans la production d’électricité, et elle souhaite continuer à s’équiper de véhicules bas-carbone pour faciliter la transition énergétique. Les Européens, sous l’impulsion d’Ursula von der Leyen, ont mis en place une enquête pour vérifier le respect des conditions de la concurrence, notamment sur les prix. La Commission ne veut pas suivre la Maison-Blanche parce que les questions ne sont pas posées de la même façon.
L’objectif de la Commission est de fixer des conditions de la concurrence qui soient plus équitables avec la Chine. Un taux de droit de douane à 25 %, comme c’était le cas aux US avant la montée récente à 100 %, permettrait de rendre les véhicules de milieu de gamme chinois à des prix comparables de ceux des européens. Ce ne serait pas suffisant pour les petits véhicules électriques chinois qui resteraient meilleur marché.
Les droits perçus doivent alors permettre de financer le développement de batteries sur une échelle encore plus grande afin de gagner en autonomie. Cette logique pourrait ainsi mettre en place une dynamique vertueuse sans remettre en cause la trajectoire vers la neutralité carbone. C’est pour cela qu’il ne faut pas suivre les USA et la taxe à 100%.
Des stratégies forcément différentes
Le véhicule électrique a simultanément un rôle culturel majeur, cela a été une clé de la croissance des pays occidentaux depuis la période d’après guerre, et c’est aussi un instrument essentiel de la décarbonation des transports individuels. Il y a deux dimensions La première est technologique. On ne peut rester sur le modèle protectionniste le plus banal car la technologie évolue. Et celui qui a le leadership a une capacité à définir le standard de la technologie utilisée ce qui un avantage comparatif considérable. Pour l’instant, la Chine a un avantage comparatif significatif. Le renfermement américain associé à la taxe de 100% est aussi lié à cette question. Les Américains ne veulent pas perdre la main sur cette produit technologique. Sauf qu’il est peut être un peu tard.
Le troisième point majeur est celui de la convergence vers la trajectoire menant à la neutralité carbone. L’automobile a sur ce point un rôle essentiel à jouer. La mobilisation européenne va dans ce sens en facilitant les véhicules électriques chinois tout en créant les conditions pour pouvoir en fabriquer et disposer ainsi de plus d’autonomie. Sur cet aspect, les américains sont en retrait car vouloir bâtir une industrie c’est probablement prendre le risque de ne pas converger rapidement la bonne technique tout en retardant la décarbonation de l’économie.