Publié initialement, le 3 février, sur le site Forbes.fr sous le titre “La Croissance Est De Retour En Zone Euro” et disponible ici
Les signaux se multiplient et suggèrent que l’activité économique pourrait s’accélérer bien au-delà de ce qui est attendu en 2017. Depuis quelques mois, les enquêtes menées auprès des chefs d’entreprise sont au-dessus de leur moyenne de long terme et suggèrent nettement une accélération de l’activité pour les mois à venir. Cela est notamment vrai dans le secteur manufacturier mais pas simplement. La France n’est pas à la traîne. Après avoir été longtemps en retrait les entreprises françaises donnent désormais des signaux forts traduisant des signes d’une croissance plus robuste, plus forte et plus durable. C’est vrai aussi des ménages français. Leur perception de l’environnement économique n’a pas été aussi optimiste depuis septembre 2007.
Ce phénomène résulte de la conjonction de plusieurs éléments.
Le premier est la stabilité des politiques économiques au cours des deux-trois dernières années. La politique budgétaire est neutre depuis 2014 alors qu’elle avait été franchement contraignante auparavant, créant alors une longue récession de 6 trimestres de la mi-2011 à la fin 2012.
La politique monétaire est accommodante. Mario Draghi ne cesse de répéter qu’elle le restera encore un bon moment. Elle se traduit par des taux d’intérêt bas. Cette situation donne des marges de manœuvre aux acteurs de l’économie. Pour prendre un exemple simple cité par le Crédit Foncier de France lors de sa conférence annuelle (le 2 février), il a été calculé que la baisse des taux d’intérêt sur l’immobilier avait engendré, pour un bien financé par dette à 100%, un gain de pouvoir d’achat de 30% à prix de l’immobilier constant (ce qui a été en moyenne le cas pour la France). Cela est un support fort pour desserrer la contrainte budgétaire des ménages. La politique monétaire crée les conditions pour que les acteurs de l’économie dépensent maintenant, et non pas dans le futur. C’est la raison principale de la BCE pour maintenir très bas les taux d’intérêt. La consommation est plus robuste depuis la mise en place de cette politique monétaire très accommodante.
En d’autres termes, la stabilité des politiques crée une situation où les acteurs de l’économie ajustent leur comportement à leurs contraintes propres et non plus aux aléas des politiques mises en œuvre comme c’était le cas auparavant. Le retour à une situation économique plus favorable prend du temps. En effet, chacun, entrepreneur ou ménage, reste prudent et ne veut pas prendre un risque trop tôt. Chacun veut s’assurer que les signaux qu’il observe sont solides. C’est pour cela que le rebond de l’activité est lent à se dessiner.
L’alignement des planètes (taux d’intérêt bas, euro faible et prix du pétrole bas) ne pouvait pas avoir d’impact immédiat. Il a cependant contribué à la mise en place des conditions qui provoquent l’amélioration de la conjoncture que nous observons.
Cette situation se développe progressivement à travers l’ensemble de l’économie. Dans son dernier bulletin, la BCE a calculé un indicateur d’intensification de la croissance en croisant les secteurs d’activité et les pays. L’indicateur est comparable aux niveaux observés avant la crise et bien supérieur à ce qui avait été observé lors de la reprise de 2009/2010. En outre, il est noté que la divergence entre les composantes de l’indicateur (secteur/pays) est désormais très faible. Tous les secteurs/pays sont orientés dans le même sens, à la hausse de l’activité.
Sur un autre plan, les échanges entre les pays de la zone Euro sont toujours très denses. Les européens échangent principalement avec les européens même si l’Allemagne est un peu une exception puisqu’elle commerce majoritairement avec le reste du monde.
L’activité qui s’intensifie, des acteurs de l’économie plus optimistes, tout ceci devrait se traduire par une intensification des échanges entre les pays de la zone, créant ainsi une dynamique plus robuste et plus durable. L’accentuation de l’activité et des échanges crée un mécanisme vertueux qui s’auto-entretient. La croissance s’accroît et se prolonge alors dans la durée.
C’est ce cadre qui est en train de se dessiner et il ressemble un peu à ce qui avait été observé à la fin des années 80 et des années 90. Les conditions de l’activité étaient favorables, les échanges s’étaient densifiés et les chiffres de croissance avaient connus des points hauts au-delà de 3.5%.
L’économie de la zone Euro est potentiellement dans une configuration similaire même si personne ne s’attend à un taux de croissance de 4%. Il pourrait cependant, pour la zone Euro, converger vers 2% ou plus, soit au-delà du chiffre de 1.6% du consensus.
Ce développement en cours ne doit surtout pas inciter la BCE à changer rapidement de politique monétaire. D’abord parce qu’il faut renforcer les facteurs positifs du moment afin de créer les conditions d’une reprise durable de l’investissement.
Ensuite, il y a des pays qui ont accumulé un fort retard de croissance depuis 2008, je pense à l’Italie notamment. En faisant le nécessaire pour prolonger cette dynamique, la BCE peut permettre la mise en place de conditions plus favorables au développement de cette économie dont le poids n’est pas loin de 20% au sein de la zone.
Le renforcement de la croissance en zone Euro ne devrait pas déplaire aux Allemands. L’environnement international devient plus incertain, l’Allemagne peut trouver en Europe les conditions du maintien de son expansion. L’accélération de l’inflation en Allemagne ne sera que temporaire et ne doit pas être prise en compte par la BCE. Ce qui compte c’est la croissance de tous les pays de la zone plus qu’une accélération non durable de la hausse des prix.
Une économie robuste c’est aussi une façon très favorable d’aborder les négociations avec le Royaume Uni dans le cadre du Brexit. Les pays de la zone Euro seront davantage concernés par une attitude cohérente pour prolonger la tendance. En outre, si le Brexit crée un choc sur l’activité, la dynamique robuste de la zone Euro en limitera l’impact sur les entreprises du vieux continent.
Après de longues années d’incertitude, la croissance se renforce en zone Euro. Il est urgent de la laisser se développer et de ne pas prélever dès aujourd’hui les fruits de celle-ci pour les redistribuer trop vite. Cela veut dire qu’il faudra maintenir la stabilité des politiques économiques. Ce sera aussi un atout dans un monde qui risque de bouger fortement. Si la zone Euro est plus forte sur le plan économique, elle pourra mieux appréhender ces fluctuations, mieux exister politiquement et peser ainsi davantage sur l’orientation du monde.