La BCE est confiante sur le profil de l’activité économique en zone Euro. C’est ce qui ressort de la publication des minutes de la réunion de mars. Le point marquant et qui traduit cette perception est le retrait de la phrase indiquant que la BCE se donnait la possibilité d’accroître ses achats d’actifs en cas de nécessité. Elle n’a plus le sentiment, la perception que la dynamique conjoncturelle pourrait nécessiter une aide d’urgence. En revanche, l’incertitude demeure sur le profil de l’inflation et la BCE insiste toujours sur l’idée que les pressions exercées par le cycle économique permettront, in fine, de voir l’inflation s’accélérer et converger vers la cible de la BCE. Les prévisions de mars 2018 sont encore loin de la cible de 2% même en 2020 où le taux d’inflation attendu n’est qu’à 1.7%.
La dynamique des tensions dans l’appareil productif s’est opérée via le taux d’utilisation des capacités de production qui sont au premier trimestre à un niveau élevé au regard des observations historiques. On le constate en France et pour la zone Euro. L’investissement insuffisant notamment à partir de 2011 et les politiques d’austérité, n’ont pas permis d’accroître autant que souhaité les capacités de production dans le secteur manufacturier. La croissance récente de l’activité, via le commerce mondial notamment, s’étant faite sur ce secteur, les limites ont été vite atteintes. C’est une des raisons pour lesquelles la croissance ne peut plus franchement accélérée. Les capacités de production ne peuvent pas franchement être augmentées.
Du côté du marché du travail la situation est plus complexe. Le périmètre du marché du travail évolue rapidement depuis une vingtaine d’années. Au milieu de la décennie précédente, Richard Freeman expliquait que l’irruption de la Chine, de l’Inde et de la Russie modifiait en profondeur l’équilibre entre capital et travail renchérissant ainsi le capital par rapport au travail. L’idée est que la population active doublait avec ces 3 pays alors que le capital de ces pays était réduit. Ainsi le ratio capital sur travail diminuait de façon spectaculaire, le capital devenait un facteur rare alors que dans le même temps, le travail devenait un facteur abondant. Cela a évolué depuis notamment en Chine ou l’investissement a été fort et de qualité ces dernières années.
Une telle configuration peut expliquer les pressions salariales à la baisse à cette époque alors que la situation des détenteurs du capital s’améliorait. Cela n’est pas forcément étranger à la réduction du poids des salaires dans la valeur ajoutée.
De façon plus récente, l’offre de travail a changé aussi de façon spectaculaire. Cependant, ce qui est intéressant est que le choc n’est pas venu de l’extérieur, comme avec la globalisation évoquée plus haut, mais de l’intérieur des pays développés. Le taux d’activité des plus de 55 ans, qui était réduit, a augmenté rapidement depuis une dizaine d’années. Ce que la Banque de France ajoutait dans son étude est que cette hausse du taux d’activité pesait sur l’allure du taux de salaire. En d’autres termes, plus le taux d’activité des plus de 50 ans est important, moins la dynamique des salaires est forte.
En d’autres termes, l’offre de travail ne fait que s’élargir. On se souvient que l’arrivée des femmes sur le marché du travail en avait bouleversé l’équilibre. Elles contribuaient à la vive augmentation de la population active durant une période de croissance forte à laquelle elles pouvaient contribuer pleinement. Le doublement de la force de travail évoqué par Freeman n’a pas la même portée puisqu’il a modifié en profondeur et durablement le ratio capital travail en raison de l’irruption rapide de cette population nouvelle. Dans le cas des femmes le mouvement n’avait pas été aussi vif et le ratio n’avait pas changé avec la même intensité. Récemment, la hausse de l’emploi des plus de 55 ans intervient dans un contexte durant lequel l’investissement n’a pas été fort ce qui a rendu le capital rare au détriment de l’emploi. C’est une source de pénalisation dans l’allure des salaires.
De manière récente, cette double dynamique a été confirmée puisqu’une autre étude de la BdF montre que la reprise de l’emploi en zone Euro s’est faite principalement sur les plus de 50 ans alors que pour les jeunes et les classes d’âges intermédiaires la situation a été plus délicate. Depuis le premier trimestre 2008, l’emploi a augmenté pour les classes d’âges supérieurs à 50 ans et a diminué pour les moins de 50 ans. Ce report vers les plus de 50 ans est probablement une source majeure de la progression limitée des salaires et de l’absence de pressions inflationnistes. Cela complète l’explication sur la hausse du taux d’activité évoquée plus haut.
On pourrait ajouter que la dynamique des emplois s’est opérée principalement sur les emplois peu qualifiés ou les emplois très qualifiés (voir ici). Les emplois intermédiaires ont été pénalisés dans cette période de crise. La classe moyenne a potentiellement beaucoup perdu. La personne dans la tranche d’âge de 25-50 ans a un vrai problème d’emploi s’il est dans la partie des emplois intermédiaires qui sont un peu qualifiés mais pas trop.
On peut rajouter selon une étude britannique récente que la baisse du taux de syndicalisation a eu aussi un effet significatif dans la moindre dynamique des salaires. Cela serait ainsi un facteur explicatif de la réduction de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Le mécanisme boucle car une fois enclenché il s’arrête difficilement. La baisse du pouvoir de négociation ne permet pas à la part des salaires de s’accroître et donc la baisse du poids des salaires est cumulative.
La question que l’on doit se poser est de savoir s’il existe un mécanisme qui permettrait d’inverser cette dynamique déprimante sur les salaires. L’impact de la globalisation, le changement de taille de la force de travail et la perte du pouvoir de négociation sont autant de facteurs qui ne plaident pas pour une inversion de tendance et une hausse rapide des salaires. La meilleure façon d’y faire face serait d’améliorer dans la durée les gains de productivité puisque cela traduirait la capacité à dégager un surplus modifiant potentiellement l’arbitrage dans le partage de la valeur ajoutée. Pour l’instant, le monde d’innovation dans lequel l’économie des pays occidentaux se trouve ne permet pas de dégager de forts gains de productivité. Dès lors le surplus à partager est réduit et les facteurs évoqués ne permettent pas de supposer une capacité des salariés à négocier pied à pied sauf peut être dans certains secteurs particuliers (métallurgie en Allemagne)
Cette situation n’a pas que des implications économiques. Des études récentes suggèrent que ces difficultés sur le marché de l’emploi favorisent le vote populiste. La perception que l’on peut avoir d’un pouvoir salarial plus faible dans la durée suggère que l’équilibre politique va continuer de changer au risque d’être plus instable avec un rejet des institutions.
On peut alors se poser la question suivante: les incertitudes que l’on a observé récemment via les élections en Autriche, au Pays-Bas puis en France mais aussi plus récemment en Allemagne, en Italie ou encore en Hongrie sont elles des temporaires avec rapidement le retour des partis de gouvernement tels qu’on les connaissait par le passé ou sont-ce les prémices d’une volatilité politique plus marquée dans la durée? Si la dynamique de l’emploi a une capacité d’explication dans le vote populiste alors on doit s’interroger sur les conséquences des évolutions récentes du marché du travail avec le sentiment que les incertitudes ne sont pas prêts de s’estomper et les risques sur la construction européenne aussi. Dans ce cadre, Emmanuel Macron apparaît isolé après les réticences allemandes récemment exprimées par la numéro deux du gouvernement allemand.