La stratégie de l’Allemagne a privilégié son développement à l’international au détriment de la consommation des ménages. Pour illustrer ce phénomène, en 1991, les exportations représentaient 40% de la consommation. Au troisième trimestre 2022, les deux grandeurs étaient équivalentes. A titre de comparaison, les chiffres étaient similaires entre la France et l’Allemagne en 1991. En 2022, les exportations ne représentent que 65% de la consommation contre 100% en Allemagne.
La stratégie française a été de privilégier la demande intérieure sans franchement satisfaire les récipiendaires de celle ci au regard des troubles sociaux.
L’Allemagne a puisée dans la dynamique du monde pour trouver les sources de sa croissance.
Les échanges extérieurs allemands sont donc au cœur du modèle multipliant les interrogations sur son profil alors que le surplus commercial qui oscillait entre 4 et 6% du PIB a chuté à 2% à la fin 2022.
Il y a deux dimensions: la stratégie pure de l’Allemagne et le surplus représentant une épargne excédentaire pour les européens et donnant une capacité à maintenir des taux d’intérêt bas. L’excédent d’épargne n’aura-t-il été que temporaire, provoquant des risques sur le niveaux des taux et une certaine autonomie financière vis à vis des Etats-Unis ?
Les échanges avec la zone Euro se réduisent en tendance mais se sont dégradés avec la Chine et la Russie. La hausse du prix de l’énergie a aussi été une source de rupture de la balance allemande.
Avec un prix de l’énergie qui sera durablement plus élevé, l’Allemagne doit-elle maintenir sur son territoire une production dépendant fortement des énergies fossiles qui seront chères ? Est ce que l’Allemagne doit également conserver sa stratégie de captation des impulsions en provenance du monde entier alors que les tensions internationales se font plus fortes ?
Ne doit elle pas se recentrer sur l’Europe et renforcer ainsi la capacité du vieux continent à faire face à un monde moins coopératif? Pour l’ensemble des pays européens et pour alimenter l’autonomie économique et politique de l’Europe, le réinvestissement de l’Allemagne en Europe serait probablement la meilleure des stratégies.
Le monde est moins coopératif, il faut alors réussir à peser politiquement et économiquement. En Europe, cela passe par une Allemagne forte qui alloue ses ressources à ses partenaires européens.
Dans les repères macroéconomiques, la chute du surplus commercial allemand a été une rupture. Après la grande crise financière, ce surplus était voisin de 20 Mds d’euros par mois. Avec la pandémie et la crise énergétique de 2021/2022, ce solde est quasiment tombé à zéro en août 2022.
Une lecture rapide du surplus allemand
La première rupture est au début des années 2000 lorsque l’Allemagne adopte une stratégie de rééquilibrage de son économie. Sa dynamique avait été longuement perturbée par la réunification. Elle doit retrouver une meilleure compétitivité. Pour l’améliorer, elle réforme son marché du travail. Cela se traduit par une phase d’austérité interne.
Cette époque marque aussi le début de la zone Euro. L’engouement pour la nouvelle zone monétaire, et les moindres contraintes financières qui s’y attachent, provoquent une accélération de la demande interne dans la plupart des pays. Chacun bénéficie de la crédibilité de la zone associée à l’Allemagne. Cela se traduit, pour tous, par une baisse de leurs taux d’intérêt. La demande interne est plus forte.
L’Allemagne adopte l’option inverse et contraint sa demande interne pour faciliter son ajustement.
Cette stratégie a engendré l’apparition de soldes bilatéraux positifs avec les autres pays de la zone. On le voit sur le graphe dans le cas de la France.
La demande interne a été plus forte en France qu’en Allemagne au début des années 2000 provoquant une dégradation pour la France de ces échanges bilatéraux. Elle importait davantage alors que l’Allemagne réduisait ses achats. Cette dynamique relative des demandes internes n’a pas été inversée et le solde bilatéral est toujours en faveur de l’Allemagne.
Ces déséquilibres, illustrés ici pour la France mais observables face aux autres grands pays de la zone, ont provoqué, lors de la grande crise financière et après, à une stratégie de dévaluation interne pour rééquilibrer les balances commerciales. Il fallait alors ajuster les coûts salariaux à la baisse pour redevenir compétitifs. Cela a été la première grande crise de l’Euro.
La structure du commerce extérieur allemand est très européenne et très tourné vers les pays avancés. En 2022, 70% des exportations vont vers ceux ci dont plus de la moitié vers la zone Euro (38%). On note néanmoins que cette part s’est réduite dans le temps. Elle était d’environ 50% vers l’Euroland après la réunification.
Dans la période récente, la nouveauté est l’essor de la Chine. Son poids très faible jusqu’à l’entrée de l’Empire du Milieu à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en décembre 2001, s’est franchement accru au moment et juste après la crise financière. Cela a été une des voies de sortie de l’Allemagne. La relance chinoise a dopé ses importations et les allemands en ont profité.
L’orientation vers la Chine a eu un rôle majeur. Le graphe montre l’importance de l’impulsion chinoise reflétant la relance du gouvernement de l’Empire du Milieu en 2009. Cela a fait rapidement progressé le volume des exportations car les importations chinoises progressaient très rapidement.
Depuis la participation plus réduite de la Chine aux échanges internationaux pénalise l’Allemagne, notamment ces derniers mois. La Chine est désormais quasiment neutre dans le commerce extérieur d’outre-Rhin
Les changements dans le commerce extérieur allemand
Depuis la pandémie, l’allure du commerce extérieur allemand a changé. Son solde est tombé quasiment à zéro en août 2022.
Cette situation n’est pas sans conséquences pour la zone Euro car ce solde extérieur excédentaire allemand traduisait un excès d’épargne de l’Allemagne que l’on retrouvait à l’échelle de la zone Euro. Sa disparition provoque un nouvel équilibre sur le marché financier européen. L’épargne moins abondante a tendance à tirer les taux d’intérêt de long terme à la hausse. C’est aussi pour cela qu’il faut comprendre le changement de tendance de l’Allemagne.
On peut comprendre la dynamique de l’économie allemande en indiquant qu’elle bénéficiait des impulsions en provenance de Chine tout en achetant une énergie bon marché en Russie. Il y a donc trois termes qui ont franchement évolué pour l’Allemagne. Son solde avec la Chine et avec la Russie mais aussi le solde de sa balance énergétique.
Quelle structure de consommation d’énergie en Allemagne
Le premier point est celui de l’énergie. L’Allemagne a été en première ligne sur le choc énergétique. Elle achetait son gaz en Russie et disposait de peu d’autonomie immédiate. Pour faire une comparaison, la France a bénéficié d’une part importante liée au nucléaire qui a pu l’isoler partiellement des fluctuations des prix mondiaux de l’énergie. Cela n’a pas été le cas outre-Rhin. La part du nucléaire était trop réduite par rapport à la France.
Dans la consommation primaire d’énergie, l’Allemagne, en 2021, dépend à hauteur de 75% des énergies fossiles et de seulement 20% de renouvelable, y compris l’hydraulique et de 5% de nucléaire. Elle est donc très dépendante des prix mondiaux observés sur les énergies fossiles.
Dans la production d’électricité, cette dépendance est importante également même si le processus est plus équilibré. Les énergies fossiles représentent 50% en 2022 contre 43 % pour le renouvelable.
En dépit d’un objectif d’une électricité dépendant à 80% des énergies renouvelables en 2030, la réduction à zéro de la contribution du nucléaire à partir du 15 avril 2023 risque d’accroître, à court terme, le besoin d’énergies fossiles pour faire face à la demande tant que le renouvelable n’est pas suffisant à un horizon court.
Un objectif connexe est l’arrêt de l’utilisation du charbon en 2030 dans le meilleur des cas et en 2038 quoiqu’il arrive. Cela devrait se traduire par l’installation de 6 éoliennes par jour. Au cours des 10 dernières années, la moyenne était de 3.5 éolienne par jour. (La France pourrait prendre la mesure de ce déploiement d’éoliennes).
La balance énergétique
La dépendance de l’Allemagne aux énergies fossiles est importante. Que ce soit dans la consommation d’énergie globale ou dans la production d’électricité, les évolutions du prix du gaz ou du pétrole sont importants.
Le choc énergétique se lit sur l’allure de la balance énergétique. Le point bas se situe en août 2022 lorsque le prix du gaz est au plus haut.
Depuis, la normalisation du prix du gaz et du pétrole permet un rééquilibrage du solde énergétique. La volonté affichée d’accentuer les investissements sur le renouvelable devrait permettre de limiter le coût des approvisionnements et d’être moins dépendant des prix internationaux de l’énergie. C’est le pari ambitieux de l’Allemagne.
La Chine et la Russie
La stratégie allemande était dépendante de la Chine pour l’impulsion que celle ci engendrait via sa demande de produits allemands et de la Russie pour s’approvisionner à bon compte en énergie.
La situation s’est dégradée d’abord face à la Russie avant de se rééquilibrer récemment. En revanche, le déséquilibre face à la Chine ne se résorbe pas.
La Russie a été au cœur des préoccupations récentes en raison de la dépendance de l’Allemagne aux énergies en provenance de Russie.
On lit sur le graphe l’impact fort de la hausse du prix du gaz puis la réduction massive des approvisionnements allemands en provenance de Russie. Les importations s’effondrent. On constate aussi le désengagement très marqué vis à vis de la Russie. Les exportations ont été divisées par 2 depuis l’invasion de l’Ukraine.
Les échanges avec la Russie montre une réallocation importante des échanges de l’Allemagne et sa sortie d’une relation amicale avec Moscou.
Face à la Chine, la situation n’est pas comparable. La balance s’est dégradée en raison d’une forte augmentation des importations depuis la fin du confinement alors que les exportations reculent. Les produits électroniques, les automobiles ou encore les produits pharmaceutiques sont les explications de cette hausse rapide des importations. Le déficit vis à vis de la Chine était de 1 milliards d’euros par mois. Il s’est accentué à plus de 8 milliards en sortie de pandémie et n’est plus que de 5 milliards. Cela reste important et contribue à la difficulté qu’aura l’Allemagne à retrouver un surplus extérieur aussi marqué que dans un passé récent. Cela pose la question de la dépendance de l’Allemagne à la Chine. C’est à cette question qu’Olaf Scholz tarde à franchement répondre. C’est important sur le plan économique mais aussi politique. On l’a vu récemment avec les propos du président Macron sur Taiwan.