Depuis le premier choc pétrolier et l’inflexion du taux de croissance, la dette publique française n’a fait que progresser. C’est la conséquence visible entre les besoins du modèle social français et les capacités de l’économie française à créer des revenus. Ce modèle social a besoin de plus de croissance et de revenu que ce que peut fournir le système productif.
Ce financement par la dette publique n’a jamais vraiment eu à faire face à d’importantes difficultés, peut-être un peu au début des années 1980 ou lors de la réunification allemande. Mais, globalement, les investisseurs ont toujours fait la même analyse que les agences de notation: la France est une grande économie diversifiée ayant une grande capacité à lever l’impôt. C’était rassurant pour l’investisseur.
Cet environnement a créé une contrainte budgétaire souple pour tous les gouvernements qui se sont succédé. Elle permettait de ne pas faire de terribles arbitrages puisque in fine le financement était assuré par la dette publique. Le modèle social a pu se développer sans réelles contraintes en raison de la facilité à le financer par de la dette publique. L’arbitrage en faveur du modèle social s’est éventuellement traduit par un ralentissement de l’investissement public qui avait été une source d’impulsion majeure de la croissance des années 1950/1960.
Au modèle social a été associé un fort effet redistributif accepté par tous. De la sorte, les mesures d’inégalités comme le coefficient de Gini ont peu évolué dans le temps si l’on prend les revenus après redistribution.
Le développement du modèle social s’est donc fait sur fond de redistribution et de financement par la dette publique. Ce cadre a été plutôt confortable pour tous les gouvernements et les alertes sur le niveau de l’endettement public n’ont jamais été au-delà du cri d’alarme.
Mais, les temps ont changé. Pendant la crise du Covid et durant les chocs énergétiques, la France a été très généreuse en cohérence avec les orientations habituelles du modèle social.
Cependant, alors que tous les pays de la zone euro ont réduit la dérive de leurs comptes publics, la France n’y est pas parvenue. Plutôt que de prendre des mesures pour réduire les déséquilibres, le Ministre de l’Economie tablait davantage sur une reprise de l’activité qui aurait pu les résoudre. La croissance après la pandémie a été médiocre et les comptes publics ne se sont pas redressés.
Les finances publiques peuvent désormais se caractériser par un taux de dépenses très élevé, beaucoup plus fort que le chiffre moyen au sein de la zone euro d’environ 7 points de PIB, un taux des prélèvements obligatoires toujours proche de ses plus hauts et une dette publique qui dérive du fait du sous-financement des retraites, la moitié de la hausse de la dette publique de 2018 à 2023 résulte du financement des retraites.
En conséquence, les marges de manœuvres budgétaires sont quasiment inexistantes et, cet automne, la bataille sur le budget a été une sorte de foire d’empoigne à celui qui défendrait le mieux ses intérêts partisans.
Une traduction de cette impasse est le fait que personne n’est satisfait du cadre. Cependant, personne n’est prêt non plus à faire l’effort pour arbitrer parce que c’est une situation inhabituelle. Cela ressemble à l’impossible construction d’une coalition politique. Les positions sont désormais exacerbées et le retour en arrière apparaît difficile. C’est vrai sur le plan politique, c’est vrai aussi des choix faits sur le modèle social.
Depuis des décennies, le choix du modèle social s’est progressivement imposé tout en faisant porter un poids considérable sur les jeunes générations.
Il vaut mieux être retraité que jeune élève. Les premiers sont parmi les mieux traités en Europe, alors que les derniers subissent des arbitrages inefficaces. Cela pénalisera la France de demain puisque ces jeunes élèves sont mal classés dans les évaluation collectives telles que PISA ou plus récemment TIMSS sur les mathématiques.
Le modèle social a été un choix collectif, il a dérivé par rapport aux capacités de création de revenus de la France, il faut pouvoir le corriger dans la durée. C’est l’enjeu du moment. Il faut trouver une solution collective alors que de nouveaux défis apparaissent. Le changement climatique, le nouvel équilibre géopolitique qui rend le monde plus vertical et le rattrapage d’innovations à faire en Europe sont autant de tâches nouvelles que l’on ne pourra résoudre que collectivement.
La seule question qui vaille ensuite est celle de l’engagement collectif dans la durée pour inverser la tendance et réconcilier le social et l’économique afin d’éviter des dérives supplémentaires des finances publiques. C’était un peu l’espoir porté par l’actuel président de la République lors de son premier mandat.
Autrement dit, les Français doivent être capables d’inverser la dynamique sociale et d’inscrire ce changement dans la durée et d’accepter de faire des arbitrages douloureux parce qu’une dérive permanente de la dette publique n’est pas acceptable. Cela passe par la mise en place d’une coalition politique avec un partage des idées.
L’autre branche de l’alternative est que la France accepte de prendre des engagements vis-à-vis d’institutions internationales pour infléchir les comportements. Ce type de méthode a souvent été efficace par le passé. Mais, faire un tel choix serait prendre le risque de vraiment ressembler à la Grèce du début des années 2010.
Ce serait dommage, au pays des Lumières, de ne pas réussir à définir un cadre collectif fait d’objectifs précis et de choix clairs afin d’avoir un horizon dégagé.
Dans les années 1950/1960, le Commissariat Général du Plan traçait de grandes perspectives pour tenter de réduire l’incertitude entourant les acteurs de l’économie. Ce pourrait être une bonne idée d’en retrouver l’esprit dans le but de retrouver de la croissance et des marges de manœuvre dans la gestion de l’économie.