Intervention courte dans un diner le 12 juin
Bonsoir
Je ne parlerai pas directement de conjoncture mais je l’évoquerai malgré tout en conclusion.
Pour m’écarter de la conjoncture et parce que j’ai l’obligation d’être très court dans mon intervention je parlerai de deux livres. Ils ont été remarqués ces derniers mois sur des registres différents mais reposent tous les deux sur une analyse empirique de grande qualité à partir de laquelle les auteurs de chacun des deux livres tirent des conclusions provocantes et pertinentes. Ce sont celles ci qui ici nous intéresser.
Le premier livre, sans surprise, est celui de Thomas Piketty “Le Capital au 21ème siècle”. Je ne vais en faire ni l’exégèse, ni la critique. Sur ces deux aspects une littérature abondante existe.
Au-delà des mesures sur les inégalités de revenus et de patrimoine, le livre indique de manière directe que l’économie de marché n’est pas spontanément équitable. C’est un des points forts du livre.
Jusqu’à présent, notamment sur le patrimoine, chacun avait à l’esprit les conclusions de Simon Kuznets indiquant que lorsque l’économie se développait, les inégalités se réduisaient. C’était vrai dans la période d’après guerre, comme le montraient les statistiques de Kuznets, mais sur une période plus longue et plus récente, Piketty montre que ce n’était qu’un épisode particulier.
C’est parce que l’économie de marché est inéquitable qu’une régulation est nécessaire. C’est un aspect de la conclusion de Piketty.
Ce sujet, majeur, est d’autant plus complexe que l’économie est mondialisée et qu’en conséquence la mesure de régulation doit être globale. Ce point est très critiqué mais il est comparable par exemple aux questions posées par les accords sur le climat et la nécessité de trouver une solution globale. Les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas spécifique à un pays et des mesures prises par l’un d’entre eux n’ont pas d’effets fort sur le déséquilibre que celles ci souhaitent contrecarrer. Il est même probable que cela puisse être contreproductif pour le pays en question.
C’est aussi cette question qui est posée par le livre de Piketty, celle de la régulation globale et des institutions qui y sont associées. Elle est plus large que la problématique posée par l’auteur mais sa conclusion est majeure.
Dans un tout autre registre, Atif Mian et Amir Sufi s’interrogent sur la dynamique de la crise financière aux Etats-Unis. Leur livre “House of Debt” valide les résultats antérieurs selon lesquels une crise financière résulte d’une accumulation excessive de dette des ménages dont le support est l’immobilier. De nombreuses recherches montrent le lien entre cette dynamique d’accumulation et sa conséquence fatale. L’ampleur de la réduction de la consommation qui s’observe pendant la crise est généralement conditionnée par le montant de dette accumulée.
Les auteurs se focalisent sur l’accumulation de la dette des ménages comme déterminant dans l’ampleur de la récession et de la crise financière et bancaire.
Deux remarques:
- lorsque la dette est accumulée par les ménages dont les revenus sont bas alors ils sont durablement contraint car leur propension à consommer est de 1. Cette dette les contraint dans la durée et finalement pénalise la reprise de la croissance. C’est ce qu’indique les auteurs sur la crise actuelle.
- La deuxième remarque est que des choix de politique économique doivent être faits. L’arbitrage est entre la dette élevée des ménages et le sauvetage du système bancaire et financier. Les auteurs indiquent que les autorités américaines ont eu plutôt tendance à choisir la sauvegarde du secteur bancaire.
Cependant, indiquent-ils la dette des ménages a continué de peser lourdement sur leur capacité à dépenser car elle ne se dissipe pas spontanément et a donc des effets persistants. C’est selon eux une des raisons de la langueur de la reprise américaine.
Néanmoins, la dette des ménages américains a baissé depuis le début de la crise. Cela a permis à cette économie de retrouver des marges de manœuvre et finalement le chemin de la croissance. Peut être pas aussi vite et pas de façon aussi dynamique que le souhaitaient les auteurs mais cela s’est fait.
C’est là où la comparaison avec la zone Euro est intéressante. Dans plusieurs pays de la zone une dynamique immobilière excessive avait été constatée avant la crise. et la dette des ménages avait augmenté dramatiquement. La question dès lors est de savoir si le profil des engagements financiers des ménages de la zone Euro au cours de la crise a permis de retrouver des degrés de liberté, comme aux USA.
On peut mesurer la dette des ménages américains en 2007 et 2013 en pourcentage du PIB. Le chiffre passe de 93.2% à 77.5%. Si l’on fait le même calcul pour la zone Euro en prenant l’ensemble des engagements des ménages (chiffres de la BCE) on constate qu’en 2007 ces engagements en pourcentage du PIB était de 64.8% mais de 72% en 2013.
Le graphique ci-dessous montre bien les profils proches avant la crise, même si les échelles ne sont pas les mêmes, et le profil très différent après l’éclatement de la crise.
Si comme le suggèrent Amir Sufi et Atif Mian, la demande interne est conditionné par l’accumulation de la dette des ménages alors l’ajustement à la crise n’a pas franchement commencé en zone Euro.
Le risque de déflation ne peut donc pas être écarté parce que la demande interne reste contrainte en ne pouvant être un support fort et durable pour la croissance. Les conséquences induites par l’endettement élevé en période de faible inflation seraient négative pour l’activité (voir ici) et la BCE n’aurait pas d’autres choix que de maintenir des taux d’intérêt très bas pendant encore très longtemps..