Dans son propos à Jackson Hole, Mario Draghi crée les conditions d’une politique économique nouvelle pour la zone Euro (le texte est ici).
Il part de l’analyse du chômage de la zone Euro indiquant qu’il a des causes conjoncturelles et structurelles. Il faut donc agir sur le plan conjoncturel avec une plus grande coordination des politiques monétaire et budgétaire et agir sur le long terme avec des réformes structurelles.
La question conjoncturelle
Il s’inquiète du faible niveau de l’activité, vu par exemple à travers les chiffres de croissance du deuxième trimestre (voir ici), le taux de chômage durablement élevé et une inflation très faible (0.4% en juillet).
Sur ce dernier point il a été plus incisif que lors des conférences de presse tenues à l’issue des réunions mensuelles de la BCE. Il s’interroge sur la durée prolongée d’un taux d’inflation très faible et des conséquences macroéconomiques que cela provoquerait.
C’est à mon sens la raison de son changement de positionnement. L’inflation est très faible et les anticipations d’inflation se réduisent selon son propos.
Il s’inquiète de n’être pas capable avec les moyens monétaires qui sont ceux de la BCE de pouvoir rapidement réduire le risque de déflation. C’est en raison de ce risque qu’il prône une plus grande coordination des politiques budgétaire et monétaire.
En prenant en compte les mesures prises en Juin, la BCE a joué son rôle. Elle pourrait l’accentuer si son intervention sur le marché des ABS pouvait être mis en place rapidement afin de faciliter le financement des entreprises. Dans le cadre qui est le sien et au regard des anticipations observées sur la politique monétaire, Mario Draghi considère que cela n’est pas suffisant pour contrer le risque d’une inflation trop basse trop longtemps. La seule politique monétaire ne suffit plus et ses moyens supplémentaires sont réduit. Il est donc nécessaire de redonner un sens à la politique budgétaire. (Il indique en outre son incapacité à faire comme les autres banques centrales qui peuvent garantir la dette publique. Il y a là aussi une revendication pour que la BCE soit effectivement le prêteur en dernier ressort comme a pu l’être la Fed aux USA ou la Banque d’Angleterre au Royaume Uni.*)
La politique budgétaire a été contrainte et n’a pu jouer son rôle de soutien à la demande comme cela a pu être le cas dans d’autres grandes économies. Car c’est là le point clé: Mario Draghi indique que la demande en zone Euro est trop réduite ne permettant pas de remettre en marche et de soutenir la machine économique. Cette absence de tensions est au cœur du risque de déflation qui menace la zone Euro.
Il énonce 4 priorités qui passent par l’utilisation de toutes les marges possible dans le cadre défini pour la politique budgétaire (pacte de stabilité et de croissance), adapter la composition de la politique budgétaire afin de lui redonner davantage d’efficacité afin de favoriser la croissance (arbitrage entre baisse du poids de la fiscalité et dépenses), prendre une mesure de la politique budgétaire au niveau de la zone Euro et non plus pays par pays et enfin mettre en place un programme de relance de l’investissement public afin d’améliorer les conditions de la croissance à moyen et long terme.
Ce qu’il faut comprendre ici
La demande est trop faible et la seule politique monétaire ne pourra pas créer les conditions d’une demande plus robuste. Il faut une politique budgétaire pour la zone Euro qui soit la contrepartie de la BCE sur le plan budgétaire. Cette politique budgétaire européenne doit utiliser toutes les marges disponibles pour relancer la croissance. Elle doit aussi mettre en place un programme d’investissement public afin de créer une impulsion sur l’investissement privé et améliorer les conditions de la croissance potentielle (qui a été fortement affectée par le faible investissement depuis 2008)
En d’autres termes, Mario Draghi propose un programme qui défie celui adopté jusqu’à présent. La politique budgétaire adoptée depuis 2011 et notamment la réunion d’aout 2011 à l’Elysée partait du principe que l’équilibre budgétaire transcendait l’ensemble de la zone Euro et favorisait sa croissance et son emploi. Mario Draghi indique que ce n’est surement pas la bonne solution pour soutenir la demande, dynamiser l’emploi et in fine écarter le risque de déflation.
Le modèle actuel nie l’existence d’une politique budgétaire de la zone Euro, celui proposé par Draghi la met au premier plan. Il est là le changement brutal et profond de perspectives.
Les mesures structurelles
Mario Draghi parle du taux de chômage structurel voisin de 9% pour la zone Euro. C’est élevé, trop élevé. Il faut donc mettre en place des mesures dont l’objectif doit être d’améliorer la compétitivité de la zone Euro et de lui donner les capacité d’une croissance plus autonome.
Une façon de voir la nécessité de ces réformes structurelles est l’incapacité des économie de la zone Euro à repartir spontanément de l’avant. Dans toutes les crises précédentes, les économies de la zone repartait, après une période de turbulence, sur une trajectoire d’expansion. Au cours des 30 dernières années, dans le cas français, l’économie française convergeait rapidement vers une croissance de 2%. Aujourd’hui, spontanément elle est à 0+. En 2012, 2013 et 2014 l’économie française aura eu une croissance inférieure à 0.5% chaque année. Il faut créer les conditions d’un changement parce que cette croissance lente n’est pas tenable.
C’est ce qu’indique Mario Draghi.
Il veut faciliter l’allocation des ressources afin de favoriser le déploiement de l’activité et de l’emploi dans les secteurs qui progressent. (Dans une période de récession, les secteurs qui marchent à la sortie ne sont pas ceux qui fonctionnaient bien avant la récession. L’objectif ici est de favoriser les transferts de ressources entre les secteurs.) Le deuxième point évoqué par le président de la BCE est la formation qui doit permettre d’améliorer la qualité du travail et l’investissement.
Conclusion
Les propositions du président de la BCE se placent d’emblée à l’échelle de la zone Euro. La question de la croissance ne se règlera que par la mise en œuvre d’une dynamique commune et non par la somme des efforts de chacun. Pareil pour lutter contre le risque de déflation. Celle ci n’est l’affaire ni d’un pays ou d’un autre mais une question collective qui ne peut être réglée que collectivement.
Il est là le changement radical puisqu’il balaie les particularismes locaux. Cela ne veut pas pour autant dire que chaque pays membre pourra faire l’économie de réformes structurelles car il y a des dysfonctionnements majeurs dans plusieurs économies. Mais le cadre souhaité pour réfléchir à la zone Euro est celle ci et non plus l’agrégation des pays qui la compose.
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* Implicitement il suggère la mise en place d’Eurobonds. Mais cela supposerait un changement institutionnel. Cependant un tel changement serait cohérent avec une politique budgétaire plus centralisée. Le cadre institutionnel deviendrait alors plus fédéral.