La dynamique de l’économie française est-elle franchement différente de celle de l’Allemagne? Sur la période récente cela ne fait pas de doute. Depuis le point bas de la récession en 2009 la performance allemande est effectivement supérieure à celle de la France. Outre-Rhin l’activité a augmenté au rythme annualisé de 2.2% alors qu’en France, le chiffre n’est que de 1.1% soit un rythme deux fois plus faible. Pourtant, au début des années 2000 c’est le contraire qui prévalait.
Sur une période de référence qui commence avec la création de l’euro au premier trimestre 1999, les deux économies font jeu égal. Depuis cette date et jusqu’au 1er trimestre 2014 le PIB français a progressé de 22.7% alors que celui de l’Allemagne augmentait de 21.8%
La France et l’Allemagne fonctionnent sur des logiques différentes. Elles ont donc des trajectoires distinctes. Ainsi, pour retrouver de la croissance, la France doit-elle absolument s’appuyer sur sa demande interne alors que l’Allemagne peut compter soit sur cette demande interne, soit sur ses échanges avec le reste du monde. La différence entre les deux économies porte ainsi sur les moteurs de la croissance.
Des catalyseurs distincts
Pour comprendre la différence entre les deux pays j’ai décomposé le PIB entre la demande interne (hors stocks) et la demande externe. J’ai ensuite calculé la contribution cumulée depuis 1999 de chacune de ces composantes. Les écarts entre les deux économies sont frappants sur les deux graphes.
En France, la demande interne progresse plus vite que le PIB et depuis longtemps. Cela se traduit par une contribution négative du commerce extérieur. L’explication est double: d’abord parce qu’en raison d’une demande interne forte, les entreprises ont intérêt à favoriser le marché domestique plutôt que l’exportation, plus aléatoire. De plus comme la demande est forte, les importations progressent rapidement notamment sur les biens non fabriqués en France.
En revanche en Allemagne, les deux composantes ont des contributions proches. L’économie allemande a une sensibilité plus forte au commerce mondial. Cela crée une impulsion supplémentaire. L’expansion ne dépend plus uniquement de la demande interne. C’est un atout considérable. Ces deux moteurs de croissance permettent actuellement à l’économie allemande de progresser plus rapidement que celle de la France. Cela n’a pas toujours été le cas notamment au début des années 2000 comme cela s’observe en comparant les deux graphes.
L’évolution à court terme
L’absence de repères perçue à travers les diverses enquêtes auprès des ménages et des entreprises françaises affaiblit la demande interne et pénalise la croissance française. C’est ce qui a été observé au premier trimestre.
Pour améliorer les perspectives de croissance, il faut modifier en profondeur les supports de la demande interne. C’est pour cela qu’il est important de réduire l’incertitude et de rendre la trajectoire de l’économie française plus prédictible. Cela peut avoir un effet auto-réalisateur et permettre à l’économie de repartir. Pour l’instant ce n’est pas le cas.
Avec deux fers au feu, l’économie allemande dispose d’une dynamique plus stable. Lors du choc très négatif sur les échanges mondiaux à la fin 2008, le commerce allemand avait reculé et contribué négativement, mais la demande interne n’avait pas chuté contrairement à ce qui avait été observé en France et dans quasiment tous les pays industrialisés. Dès lors lorsque le commerce mondial redémarre, l’Allemagne en profite pleinement et ce regain d’activité coordonne avec une demande interne qui n’a pas fléchi.
Des écarts inscrits dans la durée
Au regard des deux graphiques, force est de constater que les divergences de comportements ne sont pas récentes. Cela veut dire aussi que si un objectif de la politique économique était de copier l’Allemagne, ce serait une option difficile à mettre en œuvre et qui prendrait du temps. Il faudrait avoir la capacité de peser sur la demande interne dans la durée pour que les entreprises soient incitées à exporter davantage. Cet arbitrage serait coûteux à court terme pour l’activité.
Quelle politique économique en France ?
L’écart récent entre les deux économies est spectaculaire. L’enjeu pour la politique économique française nécessite un détail supplémentaire. La demande interne privée française se contracte. En raison de la relative neutralité du commerce extérieur, la progression de l’activité est donc très dépendante de la contribution des dépenses gouvernementales.
La difficulté de la politique économique française est là: il faut dynamiser la demande interne privée (consommation des ménages et investissement des entreprises et des ménages) sans pour autant réduire trop rapidement les dépenses publiques puisque la croissance du PIB en dépend. L’objectif de la politique économique doit donc être de tirer la demande privée vers le haut et de modérer les dépenses. Aller trop vite et trop profondément serait prendre un risque durable sur la croissance française. La réduction de plus de 100 Mds d’euro parfois annoncée est de fait surement contre-productive.
En Allemagne la question de la politique économique se pose différemment. Si le cycle économique mondial converge vers une trajectoire robuste et stable alors l’impulsion sur l’activité est suffisamment forte pour mettre en mouvement son expansion. Le relais via le marché du travail et les revenus permettent de boucler la dynamique.
Les deux moteurs souvent se complètent et cela donne un avantage majeur à l’Allemagne? Cela ne signifie pas qu’il faille le copier mais trouver un modèle de croissance avec deux catalyseurs potentiels. Jusqu’à présent la demande privée et la demande publique sont complémentaires mais il n’y a pas ici d’élément de rupture susceptible de créer une impulsion durable sur l’activité. C’est ce modèle qu’il convient d’inventer.
Elargir le schéma à la zone Euro et à l’Italie
En zone Euro et en Italie, la demande interne a aussi un rôle majeur dans la détermination du cycle économique. Cela est dramatiquement perceptible dans le schéma italien. La force de la demande interne a été broyée par la mise en place des politiques d’austérité poussant l’économie italienne dans une très longue récession. Si l’on se rappelle les chiffres français et allemand (22.7% et 21.8% respectivement) l’Italie est nettement en retard avec une progression de son activité de seulement 4.4% depuis 1999.
L’amélioration constatée sur le commerce extérieur provient essentiellement du repli profond des importations, conséquences du profil baissier de la demande interne et des politiques d’austérité.
La BCE peut-elle changer la donne?
La BCE doit intervenir. Elle doit le faire parce qu’un taux d’inflation durablement au-dessous de sa cible pénalise les dépenses des ménages endettés, notamment. Elle doit aussi intervenir car elle a la possibilité de soutenir davantage la demande interne via le crédit et donc de permettre à la grande majorité des pays de la zone de relever la tête. On a vu pour la France et l’Italie l’importance de la demande interne pour soutenir la croissance, la zone Euro est dans une situation similaire. En intervenant fortement et rapidement, la BCE pourra être un support à la dynamique de la zone Euro. C’est en cela qu’une mesure d’apport massif de liquidités sera essentielle. Si la BCE avait une telle audace alors de nombreux espoirs seraient permis.