La décision prise hier par la BCE suggère deux parties distinctes.
La première concerne la dynamique de l’économie de la zone euro. La seconde porte sur le partage des risques et donc sur l’unité de la politique monétaire.
L’augmentation des liquidités par la BCE est la poursuite du programme que j’évoquais dans mon papier d’hier (ici). La BCE observe que l’économie de la zone euro ne peut repartir de façon endogène parce que sa demande privée est trop déprimée.
Il faut un choc externe persistant pour modifier durablement l’environnement de cette zone euro.
La première étape a été la baisse des taux d’intérêt et l’engagement de les maintenir bas dans la durée par la BCE (juin et septembre). Cela a fait chuter l’euro.
La deuxième étape est de trouver le moyen de maintenir très bas ce taux de change et pendant très longtemps afin que l’économie de la zone euro puisse redémarrer et retrouver une trajectoire plus robuste. L’instrument est la création de liquidités.
La BCE s’est engagée à acheter 60 Mds d’actifs à partir du mois de mars et jusqu’à septembre 2016 au moins ou si cela est nécessaire jusqu’au moment où les anticipations d’’inflation seront compatibles avec la cible de 2% définie par la BCE.
Ces 60 milliards comprennent les achats d’obligations sécurisée et d’ABS. Depuis le 20 octobre 33 Mds d’obligations sécurisées ont été achetées et depuis 21 novembre 2 milliards d’ABS. En prenant en compte les deux types d’achats cela fait 12 Mds par mois donc un achat nouveau de 48 Mds. Il sera fait en respectant une répartition compatible avec le poids de chaque pays dans le capital de la BCE.
Le montant total du programme sera au moins de 1140 Mds (60 x 19 mois) si les achats s’arrêtent en septembre 2016 auxquels il faudra rajouter le montant des programmes TLTRO jusqu’en juin 2016.
Sur le programme nouveau, le montant des achats sera d’un peu plus de 900 Mds contre des anticipations qui était de 500 à700 Mds. Le programme d’apport de liquidités est plus important que celui qui avait été évoqué.
L’objectif ici est de déprécier la parité dans la durée mais aussi d’infléchir les comportements en signalant que l’ensemble de la structure des taux d’intérêt restera basse dans la durée. Cela entrainera des réallocations d’actifs vers les actifs plus risqués et sera favorable à la croissance
La BCE veut soutenir l’activité pour modifier les anticipations et la perception que les acteurs de l’économie ont dans le rapport entre aujourd’hui et demain. L’opportunité ici est qu’en même temps la BCE bénéficie de la baisse du prix du pétrole.
Il y aura donc trois sources d’amélioration de la demande (euro, pétrole, réallocation d’actifs) et cela sera bénéfique aux entreprises et aux ménages. La réduction du risque déflationniste passe donc par une activité plus soutenue et par le changement d’anticipations que cela engendre. En outre la baisse de l’euro permettra d’importer de l’inflation réduisant là aussi ce risque.
Si la politique budgétaire ne devient pas trop restrictive, trop rapidement comme cela avait le cas en 2011/2012 avec la mise en place des politiques d’austérité alors on doit imaginer une reprise de la croissance nourrie par une demande plus robuste
Le deuxième aspect porte sur le partage des risques dans la mise en oeuvre de cette politique monétaire.
La BCE va acheter des obligations d’Etat jusqu’à la notation investment grade (maturité de 2 à 30 ans) , des titres d’agences et d’institutions européennes. Les achats additionnels sur ces dernières seront de l’ordre de 12%. Ces actifs d’institutions européennes sont par nature mutualisés. La BCE prendra en charge directement le risque de 8% des achats nouveaux. Le risque des 80% restant sera portés par les banques centrales nationales.
Plusieurs remarques sur ces développements
Si la BCE veut effectivement changer radicalement les anticipations d’inflation pour éviter la déflation pourquoi n’a t elle pas modifié son taux d’inflation cible ? On aurait pu imaginer passer à 4%. Spontanément cela aurait modifier l’appréhension du domaine des possibles. Il aurait aussi été possible de modifier la cible en indiquant que 2% était le milieu d’un corridor des possibles allant de 1 à 3% comme cela est fait au Royaume Uni. La BCE est restée sur la cible « au-dessous mais proche de 2% ». Sera ce suffisant?
La distribution des risques amène forcément à s’interroger sur l’unité de la politique monétaire puisque les banques centrales nationales auront en charge 80 % des nouveaux achats. Qui sera le prêteur en dernier resort ? Pas la BCE puisqu’elle ne prend en charge que 9% des actifs non mutualisés par nature (8/(100-12)). En cas de défaut d’un Etat, comment sera prise en charge sa dette détenue dans une banque centrale nationale ? Peut on alors définir une telle stratégie comme une politique monétaire unique ? Surement pas. Sur ce point des éclaircissements sont rapidement nécessaires