Le document en format pdf est Grece-17juin2015
L’échéance du 30 juin approche et un accord doit être trouvé pour que la dernière tranche de 7.2 Milliards d’euros du 2ème programme d’aide à la Grèce soit débloquée. Cette date, initialement fixée au 28 février, avait été repoussée de 4 mois après les élections générales du 25 janvier. Les grecs avaient voté pour un gouvernement en rupture avec le précédent afin de stabiliser la situation du pays. En effet, depuis 2009 l’économie grecque est en récession, le PIB a été réduit d’un quart (équivalent à la baisse du PIB américain pendant la grande dépression des années 30) et le niveau de vie a baissé, relativement à celui de l’Union Européenne, au-dessous du niveau d’avant la mise en place de l’euro. Cet ajustement brutal est en grande partie la résultante des politiques très restrictives qui ont été imposées à la Grèce par la troïka. Rappelons sur ce point que ces politiques très restrictives ont été mises en place pour limiter, dès le départ, le risque de contagion de la Grèce vers les systèmes financiers des principaux pays de la zone Euro.
La signature d’un accord pour le 30 juin permettrait de dissiper les risques de défaut de la Grèce et d’une éventuelle sortie de celle-ci de la zone Euro avec les conséquences négatives que cela pourrait avoir sur la construction de la zone Euro.
L’enjeu des négociations L’enjeu de la négociation porte sur les conditions de l’aide à la Grèce pour débloquer le montant restant et pour éventuellement mettre en place une nouvelle aide, la troisième.
La difficulté de la négociation résulte d’enjeux de nature très différents selon que l’on se situe du côté grec ou de la troïka (Union Européenne, BCE, FMI). Pour les premiers des conditions trop restrictives pourraient se traduire par la continuation d’une situation de récession. Or le gouvernement d’Alexis Tsipras n’a pas été élu pour cela. Il n’a pas non plus été élu pour mener à bien la sortie de la Grèce de la zone Euro.
Du côté de la troïka, l’enjeu est la soutenabilité financière de la Grèce afin de pouvoir réduire la dette grecque, sécuriser les engagements pris en Grèce tout en réduisant les risques quant à la stabilité de l’ensemble de la zone Euro.
Les enjeux portent ainsi sur la façon dont le futur de la Grèce est projeté.
D’un côté la troïka veut pouvoir garantir la soutenabilité des finances publiques grecques à moyen et long terme afin de limiter l’impact des déséquilibres courants sur le reste de la zone Euro. Cela veut dire qu’il faut créer les conditions pour que les finances publiques s’améliorent dans la durée et que le ratio dette publique sur PIB puisse se réduire en passant de 180% à 120 % dans un temps fini. Pour cela la troïka appelle à des réformes structurelles pour permettre au gouvernement grec de dégager un surplus du solde budgétaire primaire (solde budgétaire hors paiement des intérêts sur la dette publique). L’objectif est de converger vers un surplus primaire de 3.5% à moyen terme (2018) alors que le chiffre sera inférieur à 1% cette année. Cela passe à la fois par une réduction des dépenses et une hausse des rentrées fiscales.
Sur la réduction des dépenses, la troïka insiste sur la réduction des pensions du secteur public. Cela passe par un âge de la retraite plus élevé (1/3 des employés du secteur public part à la retraite avant 55 ans) et par une réduction des pensions. C’est un élément clé car le poste “pensions et salaires” représente 75% des dépenses hors intérêt. Les pensions représentent 16% du PIB et le but est déjà de réduire ce montant de 1%. Il est souhaité aussi par la troïka l’élargissement de la base de la TVA afin d’accroître les recettes rapidement et dans la durée. Enfin il est souhaité une réforme du marché du travail dans le dessein de rendre l’économie plus flexible et plus réactive afin d’ accroître le potentiel de croissance. Cela permettra alors d’avoir un taux de croissance plus élevé afin, avec les autres mesures restrictives sur les finances publiques, de réduire plus rapidement le ratio dette publique sur PIB.
Face à ces demandes de la troïka, le gouvernement grec renâcle car l’économie est en récession depuis 2009 et la mise en œuvre de ces réformes prolongera cette situation sans donner au gouvernement la moindre marge de manœuvre dans la gestion de sa politique économique. L’ajustement a déjà été violent et le gouvernement ne souhaite pas qu’il se prolonge car la réduction de la demande qui serait associée à ces mesures serait très pénalisante pour l’activité économique et l’emploi. Le souhait du gouvernement grec est donc de ne pas subir ces contraintes fortes sur leur économie et de négocier pour réduire la dette en la restructurant.
Les réunions de cette semaine
L’enjeu de la réunion de l’Eurogroup des 18 et 19 et de la réunion des chefs de gouvernement est de réconcilier ces positions pour avoir un accord permettant le déblocage de la dernière tranche et la possibilité, dans un cadre clairement défini, de mettre en œuvre un éventuel nouveau volet. L’accord doit porter à la fois sur le niveau des objectifs et sur la trajectoire suivie. Un objectif élevé sur le surplus primaire et une convergence rapide vers ce niveau sera très pénalisant pour la Grèce mis très favorable à la troïka car son financement sera réduit. Inversement des objectifs moins élevés et une convergence plus lente bénéficiera à la Grèce mais supposera un financement plus élevé et plus long pour la troïka pour assurer la stabilité financière du processus. Il faut donc définir les objectifs, les instruments et les profils de chacun d’eux. Au regard de l’ensemble à négocier, on comprend la raison d’un accord difficile.
En cas d’absence d’accord ce week-end la situation devient plus complexe car il faut du temps à chaque gouvernement pour mettre en œuvre les mesures prises (accord du parlement par exemple).
Que peut-il se passer s’il n’y a pas d’accord le 30 juin?
En l’absence d’accord, la Grèce ne remboursera pas le milliard et demi au FMI et sera considéré comme en défaut. L’accord qui liait la Grèce et la Troïka ne tiendra alors plus et la BCE retirera son financement aux banques grecques. La Banque Centrale Européenne avait déjà modifié le refinancement des banques grecques en les faisant passer par une procédure spéciale (ELA) qui était un peu plus coûteuse. Là, elle retirera son financement ce qui mettra les banques dans une situation très difficile d’autant que les sorties de capitaux se sont accélérées. S’il y a défaut et que celui-ci se traduit par une sortie de la Grèce alors la monnaie grecque sera fortement dévaluée par rapport à l’euro et le pouvoir d’achat des capitaux laissés dans les banques serait alors franchement réduit. C’est pour cela que les sorties s’accélèrent car en se rapprochant de l’échéance, la probabilité d’un défaut s’accroit rapidement. Cela fragilise le système bancaire et celui-ci sera encore plus fortement affecté lorsque la BCE arrêtera ses refinancements. Une crise financière est à craindre très rapidement pour la Grèce.
Sortie de la zone Euro ?
En outre à côté de cela je pense qu’un défaut et l’arrêt des refinancement de la BCE se traduiraient très rapidement par la sortie de la Grèce de la zone Euro. Car si la Grèce ne peut pas rembourser les 1.6 Mds au FMI comment pourra-t-elle trouver les 6.7 Mds qu’elle doit rembourser en juillet et en août à la BCE (remboursement du portefeuille SMP constitué par la BCE en 2010/2011). Il serait alors difficile d’imaginer un nouveau compromis entre la Grèce et ses créanciers. La sortie de la Grèce de la zone Euro se traduirait aussi par une sortie de l’Union Européenne et donc par l’abandon d’un certain nombre d’avantages notamment sur les échanges au sein de l’Union Européennes (barrières tarifaires) et dans la circulation des biens, des capitaux et des personnes.
Une sortie de la Grèce se traduirait par cette crise financière, l’émission d’une monnaie nouvelle qui serait très dévaluée par rapport à l’euro et la nécessité aussi d’ajuster le fonctionnement de l’économie grecque afin qu’elle retrouve la compétitivité nécessaire pour avoir de la croissance. Cela pourrait se traduire par une chute supplémentaire de l’activité. Le risque est que les déséquilibres qui ont été résorbés dans la douleur (budget et compte courant) se rouvrent de façon spectaculaire limitant l’incitation pour tout investisseur extérieur de venir financer la Grèce.
La situation serait probablement encore plus violente que celle qui a été connue récemment mais sans le filet de sécurité que représente les institutions de l’Union Européenne et de la zone Euro. Le risque d’un tel résultat n’est pas négligeable car la question associée est celle de la capacité de l’économie grecque à retrouver spontanément le chemin de la croissance.
Que peut perdre la zone Euro ?
Dans le même temps, la zone Euro a beaucoup à perdre de la sortie de la Grèce. La crédibilité du système serait fortement écornée puisqu’alors le système apparaitrait réversible. En conséquence d’autres pays pourraient sortir même si c’est dans des conditions très différentes de la Grèce. Cela se traduirait par un risque global sur la zone et un risque spécifique sur les pays qui pourraient éventuellement sortir. La situation ici serait très différente de 2012 (période de tensions très fortes qui avait laissé craindre un éclatement de la zone Euro) car à l’époque il n’y avait pas le précédent d’une sortie. Cela fait une différence majeure.
En outre, est ce que le système monétaire restera stable ? La BCE pourra utiliser la procédure OMT qui vient d’être validée. Cela se rajouterait aux opérations déjà existantes créant la perception d’un risque plus fort associé à une politique non orthodoxe.
Pour moi, l’illustration de l’impact de la sortie de la Grèce sur la zone Euro est comme un jeu de Jenga. C’est un jeu où l’on empile des pièces de bois et qu’il faut ensuite retirer. Lorsque l’on perçoit une sortie sans risque de la Grèce on imagine retirer la pièce du dessus. Mais rien ne garantit que cela soit le cas et le risque est d’écrouler la construction. Dans un tel cas, la situation de la zone Euro deviendrait très vite chaotique.
Le manque de crédibilité et la défiance vis à vis de la construction de la zone Euro, notamment de la part des investisseurs non européens, se traduirait par un risque fort d’éclatement de la zone. Cela personne ne le souhaite car il faudrait redéfinir un système monétaire et les dettes publiques qui sont détenues par les membres de la zone Euro redeviendraient nationales. Dès lors la partie détenue par un investisseur de la zone Euro mais non résident serait valorisée en fonction de l’évolution de la parité de la monnaie du pays dont la valeur n’est pas a priori définie. Cela peut engendrer une situation non maitrisable qu’il est surement préférable d’éviter.
Que conclure ?
Le coût associé à la sortie de la Grèce pourrait être très élevé pour ce pays mais le coût pour les autres pays de la zone serait fort également puisqu’il pourrait déboucher sur un éclatement de la construction monétaire.
Si personne ne souhaite prendre ce type de risque alors il est probable qu’un accord sera trouvé. Il ne sera peut être pas aussi contraignant pour les grecs avec la possibilité d’une restructuration de sa dette (pour compenser le fait que l’euro est trop cher pour l’économie hellène) mais il éloignera le risque d’instabilité financière qui pourrait être associé à la sortie de la Grèce.
La réunion des chefs de gouvernement ce weekend doit permettre d’avoir enfin une réponse politique à la question de la construction de la zone Euro. Il faut définir clairement les objectifs qui sont souhaités à travers le compromis qui sera signé avec la Grèce.
A court terme, je crois qu’il n’y a que deux scénarios : soit la Grèce fait défaut et sort de la zone Euro ; soit un accord est trouvé au sein duquel chacun altère sa position actuelle afin de rendre les objectifs compatibles. Ce n’est pas le chemin a priori le plus facile mais c’est malgré tout celui du risque le plus limité.