Le modèle de croissance allemand, depuis le début des années 2000, s’est construit autour d’une demande interne peu dynamique et d’une activité tournée vers les exportations. Le modèle était ainsi construit pour favoriser la captation des dynamiques étrangères afin de réduire les risques de déséquilibres en interne. L’acceptation de ce consensus est un aspect remarquable qui reposait sur la capacité innovante de l’économie allemande, notamment son Mittelstand qui a profité très largement de cette période de l’histoire. Les déséquilibres ne pouvaient provenir que de l’extérieur. En cas de choc externe, le consensus et la forme du modèle limitaient le risque de contagion et de persistance de ce choc.
Cela s’est traduit par une dynamique solide de l’activité économique et de l’emploi, une progression modérée des salaires et une trajectoire des finances publiques rassurante pour les plus conservateurs.
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Au tout début de la zone Euro, l’enthousiasme en Espagne, en Italie ou même en France a contrasté avec l’austérité mise en œuvre alors en Allemagne. Les allures différenciées de la demande interne (en volume) se sont traduites par des balances commerciales bilatérales excédentaires pour l’Allemagne. Cela a duré jusqu’à la crise financière de 2008. Les déséquilibres étaient tels et l’Allemagne suffisamment puissante pour que l’ajustement des demandes internes se fassent en Espagne, en Italie et dans quelques autres pays. Les dévaluations internes, l’ajustement à la baisse des salaires réels, avaient alors provoqué une longue récession au sein de la zone Euro.
Très vite, les allemands ont réorienté leurs exportations vers la Chine. De très réduite au moment de l’adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), la part de l’Empire du Milieu s’est accru de façon significative.
En conséquence, la croissance est devenue beaucoup plus dépendante des échanges avec la Chine. Cela a été très efficace au moment de la sortie de la crise financière mais aussi sur la première partie de l’année 2021.
Ce n’est plus vrai au début de l’année 2022. La contribution de la Chine à l’évolution des exportations allemandes est désormais négative. Le ralentissement de l’économie chinoise pèse sur la conjoncture allemande. C’est une des raisons de l’inflexion de l’indice IFO à partir de l’été 2021 alors que les indicateurs cycliques français étaient très robustes.
La combinaison d’une demande interne contrainte notamment sur la consommation et des produits manufacturiers attractifs s’est traduite par un excédent de balance commercial exceptionnel tant dans l’ampleur que dans la durée. Le graphe est éloquent. Il suggère que l’Allemagne a une contribution réduite à la croissance globale puisqu’un tel déséquilibre reflète un excès d’épargne. En d’autres termes, la contribution de l’Allemagne à la croissance de l’Europe et à celle du monde n’est pas à la hauteur de sa puissance économique.
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Ce modèle de l’économie a bien fonctionné dans la globalisation qui est née au début des années 1980 et qui s’est renforcée après la chute du mur de Berlin. Le cadre alors défini reposait sur l’idée d’une complémentarité entre toutes les régions du monde. Les allemands se sont parfaitement inscrits dans cet environnement et ils en ont largement profité. Le revenu par habitant a vivement progressé.
Les rapports de force ont changé. Les tensions entre la Chine et les USA, la stratégie agressive de la Russie témoignent de ce nouvel état du monde.
Dans ce changement de l’équilibre global, la stratégie allemande est prise à défaut car elle ne pourra plus forcément compter sur les impulsions économiques du reste du monde. Elle l’est d’autant plus que ses approvisionnements énergétiques sont remis en cause. Le schéma qui reposait sur des impulsions chinoises et une énergie abondante en provenance de Russie est à repenser en profondeur.
Le gouvernement d’Olaf Sholz a très vite réagi à ce nouveau cadre en réorientant rapidement la politique de l’Allemagne vers l’Europe. C’est comme cela qu’il faut comprendre l’augmentation forte du budget militaire. Le cadre politique de l’Allemagne c’est désormais l’Europe. Cela indique aussi un changement de modèle économique.
Le choix politique de l’Europe oblige à vouloir une plus grande autonomie de celle ci aussi sur le plan économique. L’épargne en excès doit enfin pouvoir trouver un cadre qui profite à tous. L’Allemagne restera puissante mais cette puissance sera davantage au service de l’ensemble européen afin de lui garantir son autonomie. L’Europe ne sera alors plus perçue comme une source de déséquilibre pénalisante pour l’Allemagne.